NDC 3.0 du Maroc : vers une sortie du charbon d’ici 2040 ?
- Amina Harrous, Rachid Ennassiri, and Iskander Erzini Vernoit
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Le Maroc est depuis longtemps reconnu comme un pionnier des énergies renouvelables. Pourtant, il fait aujourd’hui face à un défi critique : malgré la baisse de sa dépendance aux importations de charbon pour sa production d’électricité, elle reste toujours écrasante. En 2023, le charbon représentait environ 64 % de la production électrique du Maroc, tandis que les énergies renouvelables ne contribuaient qu’à hauteur de 21,7 % (ANRE, Rapport annuel 2023), malgré des avancées notables dans l’éolien et le solaire.
Cette dépendance au charbon compromet non seulement le leadership climatique du Maroc, mais crée aussi de vulnérabilités en matière de sécurité énergétique ainsi que des coûts économiques importants, freinant la réalisation de l’objectif stratégique de souveraineté énergétique réaffirmé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans son récent discours à la Nation à l’occasion de la Fête du Trône. Plus de 90 % de l’approvisionnement énergétique du pays est importé, rendant l’économie marocaine extrêmement exposée à la volatilité des marchés mondiaux, aux fluctuations des prix et aux risques de rupture d’approvisionnement. Alors que la transition énergétique s’accélère à l’échelle mondiale, le Maroc doit agir de manière décisive pour protéger sa prospérité économique et maintenir son leadership climatique. En rejoignant l’Alliance pour la sortie du charbon (Powering Past Coal Alliance) lors de la COP28 à Dubaï, le Maroc a indiqué une ambition de mettre fin à l’utilisation de centrales au charbon sans capture de carbone d’ici 2040, mais ce n’est qu’une première étape.
Fixer explicitement une date claire pour la sortie du charbon — conditionnée, si nécessaire, à un soutien international — apparaît comme une nécessité pour la prochaine mise à jour de la Contribution Déterminée au niveau National (CDN 3.0) du Maroc.
Le processus des CDN au Maroc
Au cœur de la stratégie climatique du Maroc figure sa CDN 2.0, soumise en 2021. Dans ce cadre, le Maroc s’engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 18,3 % par rapport au scénario business as usual (BAU) à l’horizon 2030 de manière inconditionnelle, et jusqu’à 45,5 % sous condition de soutien international suffisant. Une part significative de ces réductions, environ un tiers, doit provenir du secteur de la production d’électricité grâce au développement des renouvelables. La CDN 2.0 du Maroc fixe en effet comme objectif d’augmenter la part des énergies renouvelables dans la capacité installée de 18 % environ en 2020 à plus de 52 % avant 2030.
Fort de cette base, le Maroc prépare désormais sa prochaine CDN (« CDN 3.0 ») en vue de la COP30. Des révisions à la hausse sont envisagées afin d’accroître le niveau d’ambition et la mise en œuvre. La nouvelle CDN 3.0 devrait mettre en avant une accélération du déploiement de l’éolien et du solaire, ainsi qu’un renforcement du stockage et du réseau électrique (en cohérence avec les engagements mondiaux pris à la COP28 sur les renouvelables et à la COP29 sur le stockage et les réseaux), en s’appuyant sur le nouveau « Plan d’équipement » du secteur électrique.
Pourquoi une date de sortie du charbon dans la CDN 3.0 est-elle impérative ?
Inscrire une date pour la sortie du charbon dans la CDN 3.0 est essentiel pour réduire réellement les émissions du Maroc— le charbon étant l’une des sources principales de ces émissions. Selon l’Alliance pour la sortie du charbon (PPCA), qu’a rejointe le Maroc en 2023, un scénario conforme à l’Accord de Paris (limitation du réchauffement à 1,5 °C) exige une sortie du charbon d’ici 2030 pour les pays développés et d’ici 2040 pour les pays en développement.
En tant que pays en développement qui importe son charbon à un coût élevé, le Maroc peut et doit s’engager à sortir totalement de la production d’électricité à partir du charbon d’ici 2040, voire plus tôt si cela s’avère stratégique. Fixer « au plus tard 2040 » comme échéance, plutôt que de laisser la sortie glisser vers la décennie 2040 conformément aux contrats en vigueur, renforcerait le leadership climatique de la CDN 3.0 et garantirait la cohérence avec les ambitions du Maroc de devenir un acteur majeur de l’économie verte à l’échelle mondiale. Compte tenu des contrats existants, le Maroc pourrait, si nécessaire, rendre cette échéance conditionnelle à l’obtention de financements climatiques internationaux, afin d’alléger les coûts liés à la restructuration de ces contrats.
Les bénéfices d’une sortie du charbon d’ici 2040
Renforcer la souveraineté et la sécurité énergétiques : la dépendance persistante du Maroc au charbon importé (et autres énergies fossiles) l’expose à des coûts élevés et à des chocs d’approvisionnement. À l’inverse, le potentiel renouvelable domestique offre une voie vers la stabilité des prix et l’autonomie. Chaque mégawatt de solaire ou d’éolien installé signifie moins de dépenses pour importer des combustibles et moins de vulnérabilité face aux turbulences du marché mondial. En 2023, la branche électricité de l’ONEE a dépensé environ 39 milliards de dirhams (≈ 3,9 Mds USD) pour ses achats de combustibles et d’énergie fossile (Conseil de la concurrence, avis sur le secteur électrique). Ce niveau reste presque le double de celui de l’avant-crise (≈ 22 Mds MAD en 2021, soit 2,2 Mds USD), continuant à peser lourdement sur les finances de l’ONEE. Comme les revenus de l’ONEE n’ont progressé que marginalement, le déficit 2023 est resté significatif malgré une baisse des coûts. Les tendances des prix du carburant suggèrent que la facture énergétique restera autour de 40 Mds MAD (≈ 4 Mds USD). Après un repli en 2023, les prix du charbon en 2024 demeurent encore supérieurs de 20–30 USD/tonne à leur niveau de 2021.
Compétitivité économique et emplois verts : l’énergie propre devient de plus en plus compétitive. Les coûts du solaire et de l’éolien ont chuté de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie, les plaçant parmi les sources d’électricité les plus rentables. En accélérant les investissements dans le solaire, l’éolien et le stockage, le Maroc peut créer des milliers d’emplois verts (construction, installation, exploitation, maintenance). Ces investissements amélioreront aussi la compétitivité industrielle, en réduisant le coût de l’électricité et l’intensité carbone, désormais pénalisante dans les chaînes de valeur mondiales (par ex. l’UE avec le CBAM).
Opportunités en financements climatiques et investissements durables : un engagement fort de sortie du charbon dans la CDN 3.0 pourrait donner l’accès à des financements climatiques internationaux importants. Des pays ayant adopté des plans ambitieux de transition énergétique ont bénéficié de partenariats tels que les « Just Energy Transition Partnerships » (JETP), qui ont mobilisé des milliards de dollars en financements concessionnels pour accélérer la sortie du charbon. Grâce à son potentiel renouvelable et à son historique de leadership, le Maroc est bien placé pour attirer un tel soutien, à condition d’afficher une sortie claire et rapide du charbon. Ces financements pourraient couvrir la construction de nouvelles infrastructures (renouvelables, stockage, réseaux) et des programmes de reconversion pour les travailleurs, allégeant significativement le coût budgétaire de la transition.
Plan d’action : du charbon au propre
Pour concrétiser ses ambitions et assurer son rôle de leader de la transition énergétique, le Maroc doit transformer ses intentions en actions concrètes. Les étapes clés incluent :
Aucun nouveau projet charbon : la CDN 3.0 doit réaffirmer l’engagement pris à la COP26 de ne plus approuver de nouvelles centrales à charbon. Tout nouveau projet enfermerait le Maroc dans des émissions coûteuses et rapidement obsolètes.
Planifier la fermeture des centrales existantes : le Maroc doit élaborer des feuilles de route détaillées, centrale par centrale, incluant les options de financement, pour organiser la mise à l’arrêt progressive des unités au charbon, en commençant par les plus anciennes et les plus polluantes, avec un objectif global de sortie d’ici (ou avant) 2040. Des étapes intermédiaires (ex. fermeture de certaines unités d’ici 2030) garantiraient des progrès dès cette décennie.
Éviter le piège du gaz : le Maroc doit éviter de remplacer ses centrales à charbon par des infrastructures basées sur le gaz naturel fossile ou l’hydrogène produit à partir de fossiles. Le gaz, malgré des émissions moindres que le charbon, reste intensif en carbone et vulnérable aux fuites de méthane, avec des coûts opérationnels supérieurs aux renouvelables. Les nouveaux investissements doivent se concentrer sur les renouvelables, le stockage, les réseaux intelligents et l’efficacité énergétique, plutôt que de créer une nouvelle dépendance aux énergies fossiles importées.
Accélérer les renouvelables, le stockage et la résilience du réseau : il est impératif d’investir massivement dans les parcs solaires et éoliens, de développer la production décentralisée (ex. photovoltaïque en toiture), le stockage (batteries, STEP), et de moderniser le réseau pour absorber la variabilité des renouvelables. Des interconnexions régionales et un réseau intelligent et robuste garantiront la fiabilité du système lors de la fermeture des centrales à charbon.
Planifier une transition juste : le Maroc doit concevoir une stratégie de transition juste pour accompagner les travailleurs et communautés affectés par la fermeture du charbon. Cela inclut des programmes de diversification économique, de reconversion et de soutien social.
Conclusion
La prochaine mise à jour de la CDN 3.0 représente un moment décisif pour le leadership climatique et l’avenir énergétique du Maroc. En inscrivant un engagement clair, ambitieux et socialement responsable de sortie du charbon d’ici 2040 (ou avant), le Maroc peut réaffirmer son rôle de leader climatique, renforcer son indépendance énergétique et ouvrir la voie à une croissance économique durable. Les preuves sont accablantes : les coûts de l’inaction dépasseront largement ceux d’une transition bien planifiée.
Avec son abondant potentiel solaire et éolien, ses programmes déjà établis et la confiance internationale, le Maroc est en excellente position pour réussir un basculement audacieux du charbon vers l’énergie propre. Intégrer cet engagement dans la CDN 3.0 enverrait un signal fort que le Maroc prend au sérieux son nouveau modèle de développement.
Note aux lecteurs : le défi de la sortie du charbon au Maroc a été mis en avant dans le rapport d’IMAL publié en mars 2025, « Transition énergétique du Maroc : État des lieux de la mise en œuvre du Nouveau Modèle de Développement ». Le rapport soulignait que le Maroc ne peut atteindre une compétitivité industrielle maximale sans réduire l’intensité carbone liée au charbon. Conformément aux recommandations du Nouveau Modèle de Développement (NMD), il appelait à une réévaluation des contrats d’achat d’électricité à long terme, notamment ceux liés au charbon, devenus non compétitifs pour l’ONEE. Le rapport insistait enfin sur la nécessité d’explorer les opportunités de mobilisation de financements climatiques internationaux afin de faciliter cette transition.
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