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Quatrième Conférence Internationale sur le Financement du Développement (FfD4): Des signes de progrès au milieu de lacunes structurelles persistantes

  • Saïd Skounti and Iskander Erzini Vernoit
  • 24 juil.
  • 8 min de lecture
La Giralda, one of the main landmarks of Seville, was originally built as part of the Great Mosque of Seville under the North African Almohad dynasty in al-Andalus.
La Giralda, one of the main landmarks of Seville, was originally built as part of the Great Mosque of Seville under the North African Almohad dynasty in al-Andalus.

(This article was originally published in French in the newspaper L'Economiste.)


La Quatrième Conférence Internationale sur le Financement du Développement (FfD4) s'est achevée le 3 juillet dernier à Séville, en Espagne, réunissant quelque 70 chefs d'État et près de 15 000 participants.


A cinq ans seulement de l’échéance des Objectifs de Développement Durable (ODD) de 2030, force est de constater que le monde est en retard, avec 4 000 milliards de dollars supplémentaires nécessaires chaque année pour le développement et l'action climatique dans les pays en développement. Malgré cela, le repli sur soi est en hausse, preuve en est la diminution par plus de 7% en une année seulement de l'Aide Publique au Développement (APD) avec de futures réductions prévues en 2025, entraînant la perte annuelle de millions de vies qui auraient pu être sauvées. Dans le même sens et dans  le cadre du processus de l'ONU sur le climat, les pays développés ne se sont engagés que sur un objectif de mobilisation annuelle dérisoire de 300 milliards de dollars pour 2035 lors de la dernière conférence des parties à Bakou.


Le texte final du FfD4, le "Compromiso de Sevilla", convenu sous l'égide des Nations unies, a été présenté comme un triomphe du multilatéralisme, mais les États-Unis se sont retirés du consensus après avoir joué un rôle régressif dans les négociations, tandis que l'UE, le Royaume-Uni et d'autres pays développés ont réussi à empêcher la création d'un processus pour une nouvelle Convention-Cadre des Nations Unies sur la Dette Souveraine et ont bloqué d'autres avancées, se joignant ensuite au consensus général tout en se dissociant de divers points convenus.


Le « Compromiso » est donc moins important qu'il n'aurait pu l'être, mais il laisse entrevoir un monde très éloigné de celui d'aujourd'hui - en appelant, par exemple, au respect de l'ancien engagement de consacrer 0,7 % du RNB à l'APD. Parallèlement, la Plateforme d'Action de Séville a rassemblé plus de 130 initiatives visant à catalyser le financement, à relever les défis de la dette et à réformer l'architecture financière. Dans l'ensemble, le FfD4 a permis de dégager des enseignements importants et des signes de progrès malgré des lacunes structurelles - voici quelques réflexions sur les principaux thèmes. 


Le rôle de l'investissement privé dans un contexte difficile pour les finances publiques

Dans le contexte actuel de diminution de l'aide et de mépris de la coopération internationale par les gouvernements occidentaux, Séville a mis l'accent sur les efforts visant à accroître l'investissement privé en faveur du développement.


Le FfD4 a été marqué par une dynamique particulière autour des « plates-formes nationales », un concept qui remonte à quelques années, notamment dans les discussions du G20, et qui est conçu comme une structure permettant de réunir les principales parties prenantes et de mobiliser diverses sources de financement en vue de la réalisation d'objectifs nationaux. Le FdD4 s'est caractérisé par un soutien renouvelé aux cadres de financement nationaux intégrés (Integrated National Financing Frameworks - INFF) dans le cadre de la facilité INFF, une approche qui a émergé des processus FdD précédents. Aujourd'hui, plus de 85 pays, dont le Maroc et l'Égypte, utilisent déjà ces cadres, et l'on s'attend à ce qu'ils donnent lieu à des plateformes nationales plus ciblées, notamment pour attirer les capitaux privés dans les secteurs liés au climat.


Lors de la conférence FfD4, de nombreuses personnes ont défendu le financement mixte (blended finance) comme une solution clé pour répondre aux besoins de financement du climat et du développement, bien que l'on soit de plus en plus conscient de ses limites et que l'on soit prudent quant à l'exagération du narratif « des milliards aux billions ». Le total annuel des financements mixtes enregistrés dans le monde s'élève à environ 213 milliards de dollars, ce qui est loin des 5 à 7 billions de dollars nécessaires chaque année pour atteindre les ODD, ce qui amène certains à dire que les gouvernements apportent des solutions à l'échelle de milliards de dollars à des défis à l'échelle de billions de dollars.


L'activation de l'investissement privé pour soutenir les objectifs politiques reste une priorité importante pour les nombreuses institutions financières publiques du monde présentes à Séville, y compris les banques multilatérales, les banques nationales de développement et les institutions de financement du développement. Néanmoins, le FfD4 a mis en lumière les débats considérables qui doivent avoir lieu sur les mérites des différentes approches. Plusieurs experts ont soutenu alors que l'ordre du jour ne devait pas détourner l'attention de la nécessité de renforcer les financements publics, les financements concessionnels et les subventions, notamment pour catalyser les investissements privés, mais aussi pour les domaines que les financements privés ne peuvent pas couvrir. Compte tenu du coût élevé du capital auquel sont confrontés les pays en développement, il demeure nécessaire d'atténuer les risques financiers et de rendre le financement plus abordable, notamment par le biais de la concessionnalité des instruments de la dette dans le contexte de la crise de la dette.


Le fardeau de la dette comme obstacle au développement et à l'action climatique

La question de la dette a dominé les déclarations officielles lors des sessions plénières du FfD4 et des tables rondes des parties prenantes, mais aussi les événements parallèles et les interventions de la société civile - le fardeau de la dette ayant été reconnu par un large éventail d'acteurs à Séville comme un obstacle au développement.


Le président du Cap-Vert et d'autres dirigeants africains ont ainsi tiré la sonnette d'alarme sur la dette et appelé à la réforme. La dette extérieure des pays en développement atteindra le chiffre record de 11 400 milliards de dollars en 2023, avec 3,4 milliards de personnes vivant dans des pays qui dépensent plus en paiements d'intérêts qu'en santé (ODD 3) ou en éducation (ODD 4). L'Afrique est confrontée en moyenne à des paiements de service de la dette équivalant à près de 14 % des dépenses publiques, soit deux fois plus que pour la santé. Les gouvernements sont confrontés à un grave dilemme : choisir entre les besoins de leur population et le remboursement de leurs créanciers.


L'Union africaine (UA) a été l'un des premiers acteurs officiels à réclamer une convention-cadre des Nations unies sur la dette souveraine. La convention proposée est d'une grande importance car elle impliquerait un consensus mondial sur les règles, les principes et les structures du cycle de la dette. Elle aborderait également des questions telles que les agences de notation jugées injustes dans leur traitement de certains pays, en particulier les pays africains. La convention pourrait également inclure des éléments relatifs à la transparence afin d'informer les prêteurs et les emprunteurs.


Dans le « Compromiso » de Séville, il y a au moins un accord pour « lancer un processus intergouvernemental aux Nations Unies, en vue de faire des recommandations pour combler les lacunes dans l'architecture de la dette ». Malheureusement, il n'a pas été possible de s'entendre sur la création d'une véritable convention dans le cadre du FfD4, car les principaux pays créanciers tels que l'Union européenne (UE) et le Royaume-Uni (RU) s'y sont fortement opposés. Comme le FfD4 n'a lieu qu'une fois par décennie, cela signifie sans doute qu'une occasion importante a été manquée de restaurer la confiance dans l'ensemble du système multilatéral et de s'attaquer aux crises de la dette en cours.


Le « Compromiso » de Séville appelle à une utilisation plus large des conversions de dettes (Debt Swaps), et l'Espagne et la Banque mondiale ont notamment lancé le Global Hub for Debt Swaps dans le but d'aider les pays pauvres à libérer de l'espace pour le développement et l'adaptation au climat. Bien que les conversions de dettes constituent un instrument pertinent, leur échelle modeste par rapport aux défis systémiques a conduit à la critique selon laquelle elles pourraient être plus une distraction qu'une solution. Sur trois décennies, les conversions de dette n'ont permis de traiter que 8,4 milliards de dollars de dette, soit seulement 0,11 % du total des paiements de dette effectués par les pays à revenu faible et intermédiaire au cours de la même période.


En outre, les pays créanciers riches tels que l'Espagne et la France, ainsi que les banques multilatérales de développement (BMD), ont lancé l'Alliance des clauses de pause de la dette. Cette initiative vise à inclure des clauses de pause qui suspendent la dette extérieure au cas où un pays endetté serait confronté à des chocs extérieurs, tels que des catastrophes liées au changement climatique.


Enfin, un forum des emprunteurs a été annoncé pour aider les pays en situation de surendettement. Il servira de plateforme de dialogue et de partage d'expériences et de bonnes pratiques entre les pays.


Le dernier jour de la conférence, de nombreux groupes de la société civile ont organisé des manifestations pour réclamer l'annulation de la dette. Ces appels actuels à un jubilé de la dette évoquent la campagne Jubilé 2000 - un mouvement lancé en 1994 qui a obtenu plus de 100 milliards de dollars de dettes annulées.


Les réformes fiscales et la coopération fiscale au cœur des débats lors de la FfD4

Lors du FdD4, les experts ont posé la question suivante : la communauté internationale est-elle confrontée à un déficit de financement pour le développement et l'action climatique, ou bien à un déficit de souveraineté fiscale ? En effet, le « Compromiso » invite les pays à promouvoir des systèmes fiscaux progressifs et à lutter contre la fraude et l'évasion fiscales des individus fortunés.


À Séville, diverses solutions fiscales ont été proposées pour mobiliser des fonds publics en faveur du développement et de l'action climatique, que ce soit à des fins nationales ou internationales - un écart exacerbé par l'augmentation des dépenses militaires dans les pays riches en particulier. Une initiative conjointe menée par l'Espagne et le Brésil a été lancée pour promouvoir une taxation mondiale des super-riches. Huit pays, dont la France, le Kenya, la Barbade et l'Espagne, ont lancé une coalition pour une « taxe de solidarité » sur l'aviation, qui travaillera en vue de la COP30 sur la manière de taxer les jets privés, les voyages aériens premium et les billets de classe affaires, responsables d'environ 2,5 % des émissions anthropiques de CO2.


Toutefois, Séville a également permis de montrer que certains de ces gouvernements, dont la France, sont également responsables de l'entrave à la coopération fiscale qui permettrait de générer des recettes importantes. Après des années de négociations, le cadre inclusif OCDE/G20 a été créé pour servir de base à l'augmentation de l'impôt sur les sociétés et à la lutte contre l'évasion fiscale dans le monde entier. Toutefois, ces dernières semaines, les gouvernements du G7 ont décidé de faire passer les intérêts des multinationales avant ceux de cet effort international, en exemptant les multinationales américaines de l'impôt minimum mondial sur les sociétés. S'exprimant à Séville, J. Stiglitz, lauréat du prix Nobel d'économie, a critiqué cette décision : « En un jour, en une heure, le G7 a détruit 14 ans de gouvernance mondiale, en détruisant l'impôt minimum mondial sur les multinationales ».


Dans le même temps, une nouvelle convention-cadre sur la coopération fiscale internationale (United Nations Framework Convention on International Tax Cooperation - UNFCITC) est en cours de négociation sous l'égide des Nations unies, comme indiqué dans le texte final du FdD4. Il s'agit d'une étape essentielle vers une gouvernance mondiale plus équitable, qui s'éloigne des processus tels que ceux de l'OCDE et du G20, qui excluent de nombreux pays. Une fois de plus, le groupe africain a pris les devants en proposant la résolution « Promotion d'une coopération fiscale inclusive et efficace », à laquelle les pays développés se sont opposés à l'époque.


Le « Compromiso » de Séville a aussi appelé au renforcement de la représentation des pays en développement dans la gouvernance de la coopération fiscale internationale et appelle à un engagement constructif dans les négociations dans le cadre de l'UNFCITC. La première session du comité de négociation intergouvernemental aura lieu du 4 au 8 août 2025 à New York et servira de test pour évaluer l'engagement de la communauté internationale à relever ensemble les défis mondiaux.


La FfD4 a marqué des avancées, mais le statu quo persiste, encore loin des transformations exigées par l’urgence des besoins pressants en matière de développement et d'action climatique. Ce n’est qu’à la condition que les engagements du Compromiso se matérialisent par des actions concrètes et que la pression collective garde son momentum que cette conférence pourra être considérée comme un tournant majeur dans le multilatéralisme. Le temps, lui, presse.


 
 
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