[RAPPORT] Le potentiel des Systèmes Énergétiques Renouvelables Décentralisés au Maroc
- Rachid Ennassiri, Anas Hmimad
- قبل يوم واحد
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Le rapport complet, en français, peut être téléchargé ci-dessous et consulté ici :
Le Maroc se trouve à un moment charnière de sa transition énergétique. La croissance démographique, l’élévation du niveau de vie et le développement industriel entraînent inévitablement une hausse considérable de la demande énergétique. Répondre à ce défi exige d’accélérer l’intégration des énergies renouvelables afin de réduire la dépendance aux combustibles fossiles importés, coûteux et émetteurs de gaz à effet de serre, et de concrétiser les engagements nationaux visant à tripler la capacité renouvelable installée d’ici 2030, portés par le Plan d’Équipement 2025-2030 de l’Office National de l’Electricité et de l’Eau Potable (ONEE).
Dans ce contexte, les systèmes électriques renouvelables décentralisés (SERD) représentent une solution prometteuse. Le Nouveau Modèle de Développement du Maroc (2021-2035), dans ses orientations stratégiques, précise clairement que : « la production décentralisée ... permettra de renforcer la fiabilité, la résilience, l’équilibre et la compétitivité du réseau énergétique en accompagnant les nouvelles formes de production par des technologies optimisant les rendements, minimisant les pertes et capitalisant sur les infrastructures existantes ».
Le citoyen marocain, à travers ses bâtiments existants et futurs, peut contribuer considérablement à la transition énergétique au Maroc. Grâce à la combinaison du solaire photovoltaïque, du stockage, des véhicules électriques et des technologies numériques, en constante et rapide évolution, le citoyen peut évoluer de simple consommateur d’énergie vers un « prosumer » (producteur-consommateur), capable de produire, stocker, consommer, vendre et distribuer de l’électricité, tout en apportant une précieuse dimension de flexibilité au système électrique.
Le potentiel considérable des systèmes énergétiques renouvelables décentralisés au Maroc
Ce rapport est le premier du genre au Maroc à proposer une analyse approfondie du potentiel de l’intégration des SERD, en mettant l’accent sur l’utilisation des toitures comme vecteur de production d’électricité verte. L’étude s’appuie sur des données officielles collectées auprès du Haut-Commissariat au Plan (HCP) et mobilise des modèles d’estimation pour évaluer : (i) la surface de toiture disponible pour l’installation de panneaux solaires photovoltaïques, région par région; (ii) la production potentielle d’électricité associée; (iii) le coût moyen de l’installation de cette capacité; (iv) l’intégration des technologies connexes (batteries, véhicules électriques, bornes bidirectionnelles, dispositifs connectés) et leur potentiel additionnel; (v) les émissions de CO₂ évitées.
Selon les scenarios modélisés dans ce rapport, le potentiel des systèmes énergétiques renouvelables décentralisés (SERD) au Maroc à l’horizon 2035 est considérable :
- Dans le scénario optimiste, le déploiement des SERD pourrait permettre de produire jusqu’à 66,8 TWh d’électricité, correspondant à une capacité installée d’environ 28,58 GW, générant un marché économique estimée à 31,08 milliards de dollars et évitant près de 48,19 millions de tonnes de CO₂. 
- Dans le scénario médian, la production atteindrait environ 40,1 TWh pour 17,15 GW de capacité installée, représentant un marché potentiel de 18,65 milliards de dollars et une réduction de 28,91 millions de tonnes de CO₂. 
- Enfin, même dans le cadre du scénario pessimiste, les SERD offriraient une contribution significative, avec 20,05 TWh produits, 8,57 GW installés, 9,3 milliards de dollars de marché potentiel économique et 14,46 millions de tonnes de CO₂ évitées. 
A côté de la production énergétique, ces scénarios représentent également un potentiel de création d’emplois nationale et régionale non négligeable, précisé ci-dessous.

Potentiel d’intégration du solaire sur toitures et de la mobilité électrique intelligente à l’horizon 2035
A l’horizon 2035, le Maroc devrait compter environ 2,5 millions de véhicules électriques (VE) en circulation, conformément aux projections de la Stratégie Nationale Bas-Carbone 2050. Sur cette base, la généralisation de la mobilité électrique intelligente et bidirectionnelle, intégrée au solaire décentralisé sur les toitures, pourrait transformer en profondeur le système électrique marocain. En effet, un parc de 2,5 millions de véhicules électriques bidirectionnels offrirait au pays un réservoir d’énergie mobile capable de répondre à une part significative des besoins du réseau national et des bâtiments, tout en renforçant la souveraineté énergétique et la résilience territoriale :
- Le parc de VE représenterait une capacité totale de stockage d’environ 39 420 GWh, soit l’équivalent de 91 % de la demande électrique nationale projetée pour 2035 (43 145 GWh). 
- Cette énergie stockée pourrait être mobilisée pour soutenir le réseau électrique via la recharge bidirectionnelle (Vehicle-to-Grid / V2G). 
- Le solaire sur toitures, évalué dans le présent rapport, pourrait couvrir entre 59 % et 98 % de la demande de recharge de ces véhicules dans les scénarios optimiste et médian. 
Les bénéfices socioéconomiques du développement des systèmes énergétiques renouvelables décentralisés au Maroc
Selon des estimations provisoires, l’ouverture et le développement du marché des systèmes d’énergie renouvelable décentralisés (SERD) créeraient des dizaines de milliers d’emplois au Maroc, uniquement pour les phases de développement et d’installation des projets.
Sur une période de dix ans, à horizon 2035, le déploiement de 8,57 GW créerait environ 13 000 emplois, celui de 17,15 GW environ 26 000 emplois, et celui de 28,58 GW environ 43 000 emplois. Ces estimations, prudentes, reposent sur le coefficient de 15 emplois équivalents temps plein (ETP) par MW, la moyenne mondiale selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), un taux inférieur à celui observé dans les pays africains et pour les petites installations photovoltaïques en toiture. (Elles correspondent à la réalité de l’emploi dans d’autres pays ayant développé leur marché des SERD, comme en Italie, où l’installation en toiture a maintenu, en 2024, plus de plus de 65 000 emplois directs et indirects, soit environ 85 % de l’emploi total du secteur photovoltaïque, selon les données du EU Solar Jobs Report 2024.)
Premières étapes du développement du marché marocain des SERD
Entre 2011 et fin 2023, les ménages et les entreprises marocaines ont investi au moins 3,36 milliards de dirhams pour installer environ 336 MWc de capacité solaire décentralisée, illustrant une dynamique réelle d’autoproduction. Cependant, l’absence d’un registre national des installations solaires empêche d’en mesurer pleinement les impacts économiques et énergétiques. Une cartographie menée par l’Initiative Imal pour le Climat et le Développement révèle qu’une véritable révolution de la production décentralisée est en cours, appelant des politiques adaptées et un suivi plus étroit.
Le marché marocain des SERD est en expansion rapide, porté par un écosystème d’acteurs variés, des grandes entreprises aux start-ups locales, proposant des solutions d’énergie solaire, de stockage et d’efficacité énergétique. Plusieurs ESCO (Entreprises de Services Énergétiques) offrent déjà ces services, mais nombre d’acteurs opèrent encore sans reconnaissance officielle ESCO, limitant leur accès au financement et à la structuration du secteur.
Recommandations pour débloquer le potentiel des systèmes énergétiques renouvelables décentralisés au Maroc
Ces estimations suggèrent une opportunité majeure pour repenser et réévaluer le paradigme ainsi que le modèle économique actuel du secteur électrique, depuis la production jusqu’à la consommation. Cela ouvre la voie à une réorientation stratégique des investissements, y compris dans les planifications pluriannuelles, en matière de production, de transport et de distribution d’électricité. Afin d’intégrer pleinement le potentiel croissant de l’électricité décentralisée autoproduite par les consommateurs conformément aux orientations du Nouveau Modèle de Développement.
Dans ce cadre, le gouvernement, à travers le Ministère de la Transition Énergétique et du Développement Durable (MTEDD), ainsi que les ministères en charge de la gouvernance de l’ONEE et des Sociétés Régionales Multiservices (SRM), devraient veiller à ce que leurs mécanismes de planification ne freinent pas le déploiement des systèmes d’énergie renouvelable décentralisés (SERD), mais au contraire, le facilitent et l’intègrent dans la stratégie nationale.
Dans ce sens, le Maroc devrait adopter des arrangements institutionnels, réglementaires et incitatifs favorisant durablement la croissance des systèmes énergétiques renouvelables décentralisés (SERD) dans les foyers, les entreprises, les écoles, les exploitations agricoles et l’ensemble des bâtiments publics et privés. En s’inspirant des tendances et meilleures pratiques internationales, le rapport présente également des recommandations visant à accompagner les décideurs publics et privés dans la mise en place de politiques et de solutions adaptées, notamment de :
- Investir dans les réseaux intelligents (« smart grids ») pour renforcer la flexibilité, la fiabilité et la sécurité du système. 
- Promouvoir l’effacement énergétique et la gestion intelligente de la demande à travers des tarifs dynamiques et des cadres d’agrégation. 
- Opérationnaliser la loi 82-21 sur l’autoproduction d’ici 2026 : décrets d’application, comptage bidirectionnel et mécanismes de compensation financière. 
- Adopter de nouveaux codes du bâtiment intégrant des technologies vertes pour les constructions neuves. 
- Créer un Fonds national d’intégration des SERD pour soutenir l’investissement des ménages et PME. 
- Développer la mobilité électrique et la plateforme « V2X Maroc » (« Vehicule-to-everything ») pour valoriser la flexibilité des véhicules électriques. 
- Renforcer la gouvernance et la planification à travers une meilleure coordination institutionnelle, une normalisation technique et un plaidoyer commun pour les SERD. 
La production décentralisée peut devenir un véritable pilier de la transition énergétique à travers la solidarité énergétique national, en s’appuyant sur le potentiel des douze régions du Maroc, en permettant aux excédents de certaines régions de compenser les déficits d’autres territoires. Pour libérer tout le potentiel des systèmes d’énergie renouvelable décentralisés (SERD), il est nécessaire de renforcer les réseaux, le stockage et la tarification dynamique, tout en consolidant le cadre réglementaire et en valorisant leurs bénéfices qualitatifs et quantitatifs. Placés sur un pied d’égalité avec les investissements énergétiques traditionnels, les SERD pourraient contribuer pleinement à réaliser la vision du Nouveau Modèle de Développement (2021-2035), fondée sur une énergie décentralisée, compétitive et équitable au service de la souveraineté énergétique du Royaume et le développement inclusif de ses douze régions.


