Avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur le changement climatique : un tournant pour les plus vulnérables et une transition juste ?
- Imane Saidi and Iskander Erzini Vernoit
- 7 أغسطس
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Cet article a été originellement publié dans Medias24.
Des feux de forêt ravageant la région méditerranéenne aux sécheresses dévastatrices frappant l'Afrique, les dernières années ont été marquées par des pertes et des dommages massifs pour les communautés et les écosystèmes. Cette situation touche surtout les pays les plus pauvres qui ont peu contribué à la crise climatique et sont pourtant particulièrement vulnérables à ses impacts, ce qui en fait l'une des injustices internationales les plus graves du 21ᵉ siècle.
En réponse aux impacts subis dans la région Pacifique, une initiative menée par des étudiants des États insulaires a réussi à convaincre les gouvernements de la région de demander un avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur cette menace existentielle. Pour reprendre leurs mots, il s'agissait de porter « le plus grand problème du monde devant la plus haute juridiction du monde ».
C'est à l'initiative du gouvernement de Vanuatu qu'un groupe restreint d'États (dont le Maroc et plusieurs autres pays africains) a mené une démarche qui a abouti à l'adoption d'une résolution par l'Assemblée générale des Nations unies en 2023 (AGNU78). Cette résolution demandait un avis consultatif de la CIJ sur les obligations des États en matière de changement climatique en vertu du droit international, ainsi que sur les conséquences juridiques pour les pays, les peuples et les individus affectés. Après près de deux ans de délibérations, incluant des déclarations écrites et des audiences orales, la CIJ a rendu en juillet 2025 son avis consultatif historique, exposant les obligations légales des États selon le droit international.
Allant au-delà d'une simple reformulation des accords existants sur le changement climatique, la CIJ a offert une synthèse et une exploration approfondies des obligations en matière d'atténuation, d'adaptation et de coopération internationale. Cet avis s'appuie sur le droit international, y compris, mais aussi en regardant au-delà de, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), son protocole de Kyoto et l'accord de Paris. En intégrant d'autres traités pertinents et le droit international relatif aux droits de l'Homme, l'avis consultatif renforce l'obligation juridique d'agir pour le climat et de coopérer internationalement. Ces obligations découlent du devoir de prévenir les dommages significatifs à l’environnement et du devoir de coopérer en vertu du droit international coutumier. Surtout, la CIJ confirme que les règles générales sur la responsabilité des États s'appliquent aux manquements à ces obligations climatiques, annonçant ainsi une nouvelle ère de redevabilité.
Obligations en matière d’atténuation, d’adaptation et de coopération internationale
Un point clé à retenir de l'avis consultatif de la CIJ est que les États doivent agir avec une « diligence requise », c'est-à-dire faire tout ce qui est en leur pouvoir pour atteindre les objectifs climatiques et prévenir les dommages. Cela inclut la mise en place de « mécanismes réglementaires d'atténuation » ainsi que de mesures d'adaptation pour réduire les impacts, le tout au sein de Contributions Déterminées au niveau National (CDN) ambitieuses et de haute qualité. Ces contributions doivent être soutenues par des mesures et des politiques nationales, ainsi que par des efforts internationaux de « coopération, notamment en matière de renforcement des capacités, de transferts financiers et de transferts de technologie ».
Bien que tous les États aient une obligation de diligence requise (« erga omnes »), le degré de responsabilité historique et la manière dont leurs CDN et leurs actions nationales pourraient être jugées dépendront de facteurs tels que les contributions passées aux émissions cumulées de gaz à effet de serre (GES), le niveau de développement et les circonstances nationales. La CIJ a également pris en compte le « caractère multifactoriel et évolutif » du principe de responsabilités communes mais différenciées et de capacités respectives. Ce principe a des implications pour les économies nouvellement riches, tout en maintenant les obligations légales spécifiques des « pays développés » en vertu de la CCNUCC.
En matière d'atténuation, le manquement à l'obligation de diligence requise pour protéger le système climatique des émissions constitue un « fait internationalement illicite ». Selon la CIJ, un État est responsable de ses actions : des « faits internationalement illicites » d'un État pourraient inclure le fait de « produire ou [d']utiliser des combustibles fossiles, ou [d']octroyer des permis d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles », ou encore l'incapacité de réglementer correctement les émissions provenant des « acteurs privés relevant de sa juridiction ».
Quant à l'adaptation, l'avis consultatif affirme fermement que l'adaptation aux changements climatiques n'est pas une option, mais une obligation légale. Il fournit une base pour que les gouvernements soient tenus légalement responsables de leur diligence requise dans la planification de l'adaptation, de leurs actions ou inactions en matière de « renforcement de la résilience », et de leur coopération internationale, y compris l'obligation des « pays développés » de soutenir les « pays en développement » face aux coûts de l'adaptation. La Cour rappelle qu'en vertu de la CCNUCC, cette responsabilité juridique inclut « la gestion des zones côtières, pour les ressources en eau et l’agriculture, et pour la protection et la remise en état des zones frappées par la sécheresse et la désertification, notamment en Afrique, et par les inondations ».
Enfin, la Cour confirme le rôle « indispensable » de la coopération internationale et de l'aide financière dans la lutte contre le changement climatique et souligne les obligations spécifiques des « pays développés » dans ce domaine, en ce qui concerne l'atténuation du changement climatique ainsi que les coûts d'adaptation. La Cour rappelle explicitement les obligations de fournir une aide financière en vertu de l'article 4 de la CCNUCC et de l'article 9.1 de l'accord de Paris, ainsi que d'autres instruments du droit international comme la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Cela établit une attente juridique claire de la part de la CIJ, renforçant l'argument en faveur d'une augmentation de la fourniture de financements et d'une amélioration de leur transparence. Cela légitime également la récente proposition du G77+Chine lors de la 62ᵉ réunion des organes subsidiaires de la CCNUCC en juin, qui vise à adopter un point à l'ordre du jour sur l'article 9.1, portant sur la fourniture de financement public international.
Lorsque les pays ne respectent pas leurs obligations climatiques : litiges, indemnisation, réparation ?
Selon la Cour, si un État commet un « fait internationalement illicite » lié au changement climatique – c'est-à-dire s'il manque à l'une de ses obligations légales définies –, il engage sa responsabilité internationale. Les conséquences juridiques d'un tel acte pourraient inclure plusieurs obligations, notamment le devoir de réparer intégralement le préjudice causé par le biais de la restitution et/ou d'une indemnisation. De plus, la Cour rappelle que l’indemnisation financière pourrait inclure « une indemnité pour la dégradation ou la perte de biens et services environnementaux — et des dépenses engagées par l’État lésé en conséquence de tels dommages ».
Il est important de noter que, selon la Cour, l'obligation de réparation est distincte des obligations plus larges en matière de financement international de la lutte contre le changement climatique, qui visent à fournir un soutien pour des actions futures et en cours, indépendamment d'un acteur fautif spécifique. Elle est également différente du mécanisme pour les pertes et préjudices de l'accord de Paris, qui n'attribue pas de faute ni de responsabilité juridique pour les pertes.
Conclusions
Cet avis consultatif de la CIJ ouvre une nouvelle voie pour le droit international sur le changement climatique. Son importance réside dans la nouvelle dynamique politique qu'il va créer, en plus de potentiels nouveaux procès internationaux. Cela dit, les dernières années ont démontré que les limites du droit international nécessitent des efforts politiques.
La Cour replace les engagements, déclarations et ambitions des États, souvent bafoués, dans le cadre d'obligations légales internationales. Cela ouvre une nouvelle perspective où les États qui manquent à leurs obligations peuvent être tenus juridiquement responsables de leurs actions et de leur inaction. De tels litiges pourraient, à terme, contraindre les pays à procéder aux réductions d'émissions nécessaires ou à fournir une restitution matérielle et/ou une indemnisation financière pour les dommages subis par les États touchés.
Concrètement, les pays du Sud pourraient s'appuyer sur cet avis juridique pour engager des poursuites contre ceux qui ne respectent pas leurs devoirs climatiques, en particulier les pays plus riches avec d'importantes émissions historiques. Cela pourrait inclure des plaintes demandant une compensation pour les pertes et préjudices liés au climat, dépassant ainsi les mécanismes volontaires actuels.
Politiquement, cet avis de la Cour mondiale arrive à un moment très opportun pour les pays du Sud, y compris pour les pays africains et arabes qui sont en première ligne des impacts climatiques. C'est particulièrement pertinent au vu des contestations actuelles dans la politique climatique internationale au sein du processus de la CCNUCC. Cette intervention offre un renforcement bien nécessaire face à l'état peu encourageant de la coopération internationale dans le cadre de l'accord de Paris, surtout après le processus problématique et le résultat inadéquat de la COP29 sur le Nouvel Objectif Collectif Quantifié (NOCQ) pour le financement climatique, ainsi que dans le contexte du cycle des CDN de 2025.
L'avis consultatif pourrait remodeler la politique des négociations climatiques internationales, potentiellement débloquant des impasses de longue date grâce à un cadre d'obligations légales et au risque de responsabilités pour des « faits illicites », tant dans la coopération internationale (par exemple, la fourniture de financement en vertu de l'article 9.1) que dans les actions nationales d'atténuation et d'adaptation. C'est le moment idéal pour une remise à plat de la politique climatique internationale, fondée sur la justice internationale, les principes d'équité, les droits de l'homme et des voies plus claires pour l'action juridique et la redevabilité, en particulier avant la COP30 et d'autres forums multilatéraux.
Cependant, l'efficacité de cet avis consultatif dépendra de la volonté politique des États à respecter le droit international et à remplir leurs devoirs légaux de bonne foi. À l'instar des mesures conservatoires de la Cour mondiale concernant l'« Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza », les déclarations juridiques seules ne suffisent pas. Elles exigent un engagement politique sincère de la part des gouvernements envers le droit international.
D'ailleurs, dans ses propres conclusions, la CIJ affirme que la résolution d'un « problème existentiel de portée planétaire qui met en péril toutes les formes de vie » nécessitera « la volonté et la sagesse humaines – aux niveaux des individus, de la société et des politiques ». Elle exprime l'espoir que « ses conclusions permettront au droit d’éclairer et de guider les actions sociales et politiques ».