La CDN 3.0 du Maroc : L'ambition rehaussée par le triplement des énergies renouvelables, la sortie du charbon, l'adaptation et une attention particulière aux pertes et préjudices
- Iskander Erzini Vernoit, Rachid Ennassiri, Said Skounti, Amina Harrous, and Imane Saidi
- il y a 2 jours
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La troisième Contribution Déterminée au Niveau National (CDN) du Maroc, ou CDN 3.0, a été publiée par la CCNUCC plus tôt cette semaine. Elle définit des ambitions importantes qui s'alignent sur divers benchmarks internationaux indépendants en matière de leadership, signalant une orientation prospective axée sur la mise en œuvre.
Les principaux points saillants de la CDN 3.0 comprennent :
En matière d'atténuation : un engagement phare d'augmenter les réductions d'émissions à 53 % d'ici 2035 (sous condition de soutien international), avec l'objectif de tripler les capacités d'énergie renouvelable d'ici 2030 et l'annonce inédite d'une date conditionnelle de sortie progressive du charbon (soit 2040, sous condition de soutien international), ainsi que des actions concernant le stockage, les réseaux et d'autres domaines.
En matière d'adaptation : un ensemble détaillé de 80 objectifs sectoriels d'adaptation pour 2035, étayés par 107 projets d'adaptation spécifiques. Concernant les pertes et préjudices, un chapitre entier est consacré au sujet.
En matière de financement : de nouveaux détails sur les montants requis pour les actions conditionnelles et inconditionnelles à travers de nombreux projets spécifiques, impliquant des contributions du gouvernement, des investissements privés et de la coopération internationale.
Ces trois domaines sont explorés de manière non exhaustive ci-dessous, en tant que revue initiale des faits marquants.
Atténuation : Énergies renouvelables, sortie du charbon, réseaux, stockage, et plus
La CDN 3.0 du Maroc, qui s'appuie sur les stratégies nationales existantes liées au climat, y compris la Stratégie Nationale Bas Carbone à l'horizon 2050, rehausse l'ambition nationale globale de réduction des gaz à effet de serre (GES) à 53 % d'ici 2035 par rapport à un scénario de business-as-usual (statu quo). Cela représente une progression par rapport à l'engagement précédent de 45,5 % d'ici 2030 dans la CDN 2.0, marquant une claire « progression » au titre de l'Article 4 de l'Accord de Paris. Sur ces 53 %, 21,6 % constituent un engagement inconditionnel, tandis que 31,4 % sont conditionnés à la disponibilité de financements.
L'effort d'atténuation de la CDN s'étend à divers secteurs, mais le secteur de l'électricité est au cœur de cette démarche. Alors que la CDN de 2021 visait à atteindre 52 % de la capacité électrique installée à partir d'énergies renouvelables d'ici 2030, la mise à jour de 2025 va plus loin, visant à :
Tripler la capacité d'énergie renouvelable du Maroc pour atteindre plus de 15 GW d'ici 2030,
Développer le stockage ainsi que l'amélioration du réseau électrique et des interconnexions régionales,
Fixer une date conditionnelle de sortie progressive du charbon à 2040, conditionnée par un soutien international.
Le Maroc vise à tripler sa capacité renouvelable, passant d'environ 5 GW de capacités installées à plus de 15 GW d'ici 2030. Cet objectif repose largement sur le nouveau Plan d'équipement 2025-2035 établi pour l'Office National de l'Électricité et de l'Eau Potable (ONEE) plus tôt cette année. En fixant cet objectif, le Maroc s'aligne sur l'objectif de la COP28 de tripler les capacités mondiales d'énergie renouvelable d'ici 2030.
Il est intéressant de noter que la CDN affirme un objectif de 15 GW en termes absolus, mais fait toujours référence à l'objectif de 52 % d'énergies renouvelables dans le mix de la capacité électrique installée du Maroc d'ici 2030. Or, le Plan d'équipement a clairement indiqué que cet objectif de capacité serait atteint bien avant 2030, l'ambition étant désormais fixée à 56 % d'ici fin 2027. La CDN, à certains égards, ne reflète pas toutes les ambitions de trajectoire du pays.
Pour le Maroc, ce triplement est, bien sûr, un bond énorme qui, s’il est réalisé, redéfinirait le mix électrique du pays. Une grande partie du défi de la mise en oeuvre de cette ambition réside dans l’accélération des processus d’octroi de permis pour les projets d’énergie solaire et éolienne, tout en respectant les garanties socio-environnementales, et dans la multiplication de l’implication et de l'investissement du secteur privé dans ce domaine, à des niveaux sans précédent par rapport aux réalisations antérieure. De plus, bien que ce plan de triplement se concentre largement sur les projets à l'échelle industrielle, son succès dépendra également du déblocage de la production décentralisée d'électricité, qui ne figure que comme un objectif limité dans cette CDN. Ce sujet fera l’objet d'un prochain rapport de l’Initiative IMAL, qui évaluera le potentiel et les voies d’une intégration plus large des installations photovoltaïques décentralisées dans la transition énergétique du Maroc d’ici 2035.
Concernant le stockage et les réseaux — le succès de la transition du secteur électrique marocain dépend de l'amélioration des infrastructures habilitantes associées, afin de permettre l'expansion de la production d'énergie renouvelable variable dans le réseau national. À cet égard, le Maroc vise les objectifs suivants d'ici 2035 :
3 milliards de dollars USD pour la modernisation du réseau (2025-2030),
1 500 MW de stockage par batteries (2025-2026),
Un projet de stockage par pompage-turbinage de 350 MW d'ici 2029,
Une ligne CCHT (Courant Continu Haute Tension) du Sud au Centre pour exploiter le potentiel solaire et éolien du Sahara marocain.
En outre, concernant les interconnexions régionales, la CDN reconnaît également les plans du Maroc visant à renforcer ses interconnexions électriques avec l'Europe et au sein de l'Afrique, en s'appuyant sur les progrès récents avec la Mauritanie.
Dans sa CDN 3.0, le Maroc annonce, pour la toute première fois, une date conditionnelle pour l'élimination progressive du charbon dans la production d'électricité. L'ambition est fixée à 2040, sous condition de soutien international, avec un engagement inconditionnel d'élimination progressive dans les années 2040. Cette date de 2040 positionne le Maroc en position de leadership selon les normes internationales pour les délais de sortie du charbon établies par l'Alliance Powering Past Coal (PPCA), un groupe dont la CDN 3.0 note que le Maroc est désormais membre.
La CDN 3.0 précise en outre que l'engagement conditionnel inclurait « l'arrêt anticipé des centrales et la gestion des engagements contractuels ». Sur ce point, l'ambition du Maroc s'aligne sur les recommandations formulées précédemment par l’Initiative IMAL.
Au-delà du secteur de l'électricité, la CDN du Maroc présente également des ambitions d'atténuation dans d'autres secteurs de l'économie.
En matière de mobilité et transport durable, la CDN présente notamment un programme intégré visant à développer la mobilité et le transport durables avec à la fois des stratégies larges et des projets concrets, couvrant une ligne à grande vitesse (LGV), les systèmes de trains métropolitains régionaux (RER), les extensions de tramway, les normes de CO₂, les systèmes de « bonus-malus » et les incitations à l'électrification des véhicules à deux et trois roues.
La CDN 3.0 affirme également un plan national pour le méthane, contribuant, comme il est noté, à l'Engagement Mondial sur le Méthane (Global Methane Pledge). Ce plan se concentre sur les secteurs à fortes émissions que sont l'élevage et l'agriculture, les déchets municipaux et les eaux usées, ainsi que l'énergie et la valorisation du biogaz, complétant une feuille de route « biomasse-à-énergie ». La trajectoire suivante est proposée pour la réduction des émissions de méthane :
23,5 % d'ici 2030 dans un scénario modéré ;
36,2 % d'ici 2030 dans un scénario ambitieux (et 56,8 % d'ici 2050).
Resilience, adaptation, pertes et préjudices
Alors que les impacts du changement climatique continuent de s'aggraver au Maroc, l'adaptation et les pertes et préjudices sont sans doute d'une importance égale à l'atténuation dans la CDN 3.0. De fait, la CDN 3.0 consacre un chapitre entier à l'adaptation et un autre chapitre entier distinct aux pertes et préjudices.
Une priorité stratégique pour le Maroc, intégrée dans la CDN 3.0, est le renforcement de la sécurité hydrique, compte tenu de la position du pays dans la région la plus pauvre en eau du monde. La CDN affirme que la période 2019-2023 a été la séquence de sécheresse la plus longue et la plus grave jamais enregistrée au Maroc, l'année 2023 étant l'année la plus sèche de son histoire enregistrée depuis au moins quatre-vingts ans. Cette situation a entraîné des pertes et préjudices significatifs pour l'économie, les communautés et les écosystèmes.
Dans sa CDN 3.0, le Maroc fixe 80 objectifs sectoriels d'adaptation pour 2035, déclinés en 107 projets d'adaptation, répartis entre 61 projets inconditionnels et 46 projets conditionnels—tout en affirmant ses contributions aux objectifs établis dans le cadre de l’Objectif mondial d’adaptation.
La CDN 3.0 identifie de nombreuses stratégies sectorielles climatiques existantes qui contribuent à la mise en œuvre de la composante adaptation, notamment (liste non exhaustive): la Stratégie Nationale de l'Eau (SNE), le Plan National de l'Eau (PNE), le Programme National d'Approvisionnement en Eau Potable et d'Irrigation (PNAEPI), le Programme National d'Économie d'Eau en Irrigation (PNEEI), le Programme d'Extension de l'Irrigation (PEI), la Stratégie « Forêts du Maroc 2020-2030 », et la Gestion Intégrée des Feux de Forêt au Maroc: Stratégie Nationale intersectorielle & plan d’action 2020-2030.
La CDN présente diverses actions concernant la sécurité hydrique, incluant les transferts inter-bassins, l'irrigation hydro-économe, le traitement et la réutilisation des eaux, ainsi que des usines de dessalement à grande échelle. La CDN 3.0 positionne le dessalement de l'eau de mer comme un pilier stratégique de l'approche nationale. Elle expose l'objectif du Maroc de rendre opérationnelle d'ici 2035 une flotte de grandes usines, notamment à Rabat, Casablanca, Tanger, l’Oriental, Boujdour, Essaouira, Tan-Tan, Tarfaya, Guelmim et Souss Massa. Ces efforts devraient permettre de mobiliser environ 2 milliards de m³/an d'eau dessalée d'ici 2035.Cependant, l'intention doit se traduire par une action visant à alimenter les efforts de dessalement par les énergies renouvelables et à éviter le recours aux combustibles fossiles importés. Par ailleurs, le sous-produit qu'est la saumure devra être géré de manière appropriée pour éviter les impacts socio-environnementaux négatifs.
Enfin, la CDN 3.0 se distingue par un chapitre complet dédié aux pertes et préjudices. Cela reflète la réalité des impacts graves du changement climatique subis par le Royaume, y compris des coûts spécifiques s'élevant à des milliards de dollars USD, couvrant la sécheresse, les vagues de chaleur, les incendies de forêt, les inondations, l'élévation du niveau de la mer et d'autres impacts identifiés dans la CDN.
Les pertes et préjudices sont également étroitement liés aux migrations et aux déplacements. La CDN note qu'entre 2008 et 2024, les inondations et les incendies de forêt ont entraîné le déplacement interne d'environ 32 000 personnes, et que des phénomènes plus vastes pourraient conduire à la migration de 1,9 million de personnes des zones rurales vers les zones urbaines, exacerbant les déséquilibres territoriaux et la vulnérabilité des zones urbaines. La CDN propose également une annexe sur la mobilité humaine liée au climat et son lien avec l'adaptation.
Cet accent mis sur les pertes et préjudices s'aligne sur l'engagement du Maroc sur ce thème dans le processus climatique de l'ONU, dans un contexte d'évolutions politiques récentes. En fin de compte, naturellement, le Maroc, comme d'autres pays d'Afrique, n'est généralement pas responsable de l'origine du changement climatique, mais se trouve en première ligne pour en subir les impacts.
Financement et soutien international
Concernant le financement et le soutien international, la CDN 3.0 du Maroc délivre un message fort : d'une part, diverses actions seront menées —de manière inconditionnelle— lorsque le pays ne peut attendre un soutien international incertain ; d'autre part, la CDN pose des conditions claires pour la pleine réalisation de ses ambitions d'adaptation et d'atténuation (énoncées précédemment), ce qui nécessite une contribution et une ambition accrues en matière de financement climatique de la part des partenaires des « pays développés ».
La composante financière est placée au cœur de la CDN, offrant de nouvelles informations et une analyse basée sur les projets, visant à promouvoir à la fois le financement climatique émanant des « pays développés » et l'investissement du secteur privé.
Un jalon particulièrement notable de la CDN est qu'elle intègre pour la première fois l'ambition climatique directement dans la budgétisation nationale, alignant ses mesures prioritaires de la CDN sur la Programmation Budgétaire Triennale (2026-2028) du Ministère des Finances. Ce type d'alignement explicite du budget de la CDN reste relativement rare et positionne le Maroc en tant que précurseur régional dans le lien entre action climatique et planification fiscale.
Au total, le financement estimé requis pour la mise en œuvre de la CDN 3.0 s'élève à environ 96 milliards de dollars USD, couvrant à la fois l'atténuation et l'adaptation, ainsi que les actions conditionnelles et inconditionnelles.
En matière d'adaptation, la CDN du Maroc identifie des besoins de financement totalisant 36,1 milliards de dollars USD pour la période 2026-2035. Ce qui ressort est qu'environ 93 % de ce besoin de financement doit être satisfait de manière inconditionnelle (soit plus de 33,5 milliards de dollars, dont 26,5 milliards pour l'eau seule), avec seulement 7 % des besoins de financement d'adaptation identifiés étiquetés comme conditionnels.
Par cette approche, le Maroc affirme essentiellement dans sa CDN 3.0 que la sécurité hydrique et la résilience climatique de ses communautés et de ses écosystèmes sont des priorités existentielles qui ne peuvent pas attendre la matérialisation des promesses de financement externe du Nord global.
L'approche du Maroc concernant les projets d'adaptation conditionnelle (à 7 %) reflète une dure réalité : les pays sont peu incités à fixer des objectifs conditionnels plus ambitieux lorsque le financement climatique international reste insuffisant, comme en témoignent l'issue de la COP29 sur le Nouvel Objectif Collectif Quantifié (NCQG) de Bakou et les actions subséquentes des « pays développés ». L'action d'adaptation est, par conséquent, en deçà de ce qu'elle aurait pu être.
En matière d'atténuation, le Maroc estime à 60 milliards de dollars USD les besoins de financement pour l'ensemble de ses projets dans la CDN 3.0, principalement pour ses ambitions de transition énergétique, avec 21 milliards de dollars pour les systèmes électriques et 13,9 milliards de dollars pour la décarbonation des transports. Sur ce montant total, 56 % (33,8 milliards de dollars) sont considérés comme du financement conditionnel, tandis que 26,2 milliards de dollars sont supposés être garantis de manière inconditionnelle.
Ici, comparé à l'adaptation, le financement conditionnel vise à inclure à la fois des investissements provenant notamment du secteur privé compte tenu de l'opportunité commerciale et le soutien financier international des « pays développés ».
Le Maroc a entrepris des efforts significatifs pour mobiliser l'investissement du secteur privé dans l'action climatique, en particulier pour l'atténuation. La CDN fait explicitement référence à la Stratégie pour le Développement de la Finance Climat (SDFC 2030) du Maroc, qui définit des mécanismes pour mobiliser les capitaux privés conformément à la vision de la Charte de l’Investissement du Royaume. Ces mécanismes comprennent des instruments de partage des risques et des outils de marché visant à rendre les projets climatiques « bancables », afin de permettre aux investisseurs institutionnels et aux acteurs privés d'intensifier les investissements alignés sur la CDN.